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Photo du rédacteurAriane Viguier

En finir avec la psychophobie

Récemment je suis tombée sur un article dans le livre “Le dictionnaire amoureux de l’inutile ”, l'article s'intitulait “L’idiot du village”. Bien sûr j’ai tiqué...

J’ai grandi en partie dans le milieu rural, j’ai connu cette expression pour désigner la différence, celle qui dérange mais qui occupe une place tout aussi légitime qu'une autre. “On n’avait pas idée de mettre en avant le droit à la différence, puisque la différence était là sous nos yeux (...). L’idiot était là pour garder la part d’enfance, la folie, quelques rêves, le handicap que chacun peut ressentir face au bonheur de vivre” (p.239). Y a quelque chose d’étranger en nous dans “la folie” ou peut être, au contraire, de trop proche de nous qui nous donne avec illusion le droit de dénigrer, de moquer ou de traiter de menteur des gens qui sont, avant tout, en souffrance.


Avez vous déjà entendu ou pensé que les dépressifs ne faisaient pas assez d’effort pour s’en sortir ? Ou encore que les schizophrènes étaient dangereux ? Ces représentations sont des réflexes intériorisées et bien ancrées dans notre société : On appel ça la psychophobie .


Exemples de représentations stigmatisantes démontées en deux-deux :

  • Les personnes souffrant de schizophrénie ou étant neuroatypique ont une vie sociale.

  • Les personnes souffrant de dépression peuvent continuer à aller au travail, aux fêtes de famille, sourire, rire.

  • Il existe des personnes souffrant de troubles alimentaires qui mangent à tous les repas.

  • Il existe des personnes ayant des troubles des apprentissages qui écrivent des livres.

Si on prend le temps de s'interroger sur les représentations, préjugés et stéréotypes que nous avons autour du handicap et de la santé mentale en général, on pourrait bien se mettre des coups de ballais tant on peut se rendre compte que nous avons intégrés des idées erronées et péjoratives sur le handicap au sens large.


Concernant le handicap il est important de prendre en compte la diversité que ce mot valise décrit. On peut souvent s’en tenir aux handicaps moteurs, mais le handicap est pluriel : Il peut être physique, mental, psycho-affectif, sensoriel…

Y'a même d'autre logo Oh MY




Ces représentations stigmatisantes elles conduisent à quoi ma pauvre Lucette ? Je vous le donne en mille : A des conduites discriminatoires. Comme les définissent Louvet & Rohmer, les comportements discriminatoires sont des comportements de mise à l'écart d'un individu sur la base de son appartenance à un groupe social (beaucoup d'articles sur ce sujet sont à retrouver sur le blog parce que on est trop des rageuses). Les inégalités et phénomènes d’exclusion qui découlent de ces représentations sont systémiques, c’est-à-dire qu’ils recoupent l’ensemble de la société et de ses instances : dans le domaine salarial, d’accès au soin, sexuel, d'accès à l’espace public... La personne handicapée est objectivée, infantilisée, isolée, reliée à l'espace privé, voire criminalisée dans certains cas.


Changer nos représentations sur la santé mentale peut nous permettre de développer un sentiment de légitimité lorsque nous rencontrons potentiellement l’un de ces troubles (100% tous concernés ici désolée de vous décevoir). Cela permet aussi de se donner la possibilité d'avoir accès au soin et de changer les politiques d'accompagnement dans la santé mentale afin d’y bannir les (encore) trop nombreuses violences. Cela permet enfin, de changer notre regard social.

Quelques définitions pour s’outiller


Le handicap est un terme large qui a plusieurs définitions. Dans l’encyclopédie du handicap, on distingue la signification sociale du handicap en lui même. Il y a une distinction du handicap au sens médical du terme et au sens du modèle social du handicap qui, lui, prendrait en considération l'oppression collective exercée par le monde valide sur les personnes en situation de handicap. Pour en savoir plus vous pouvez regarder la vidéo de Alistair - H Paradoxæ.

Le validisme est un terme qui correspond à l’ensemble des discriminations que peuvent subir les personnes en situation de handicap. Le terme rend compte des discriminations et des oppressions systémiques qu' exercent les personnes valides au quotidien sur les personnes ayant un handicap. Cela fait référence plus globalement à l’idéologie aujourd'hui dominante qui consiste à classer les personnes selon des échelles de valeurs correspondant à leurs capacités et à leur pouvoir de production et de consommation .

D'après des études les comportements discriminatoires sont impactés par la visibilité du handicap. Comme le décrit l'étude de Louvet & Rohmer, aujourd'hui le handicap physique est évalué plus positivement que le handicap psychique auquel on attribue moins de caractère positif comme le courage.


Mais bon pas besoin de se battre... La discrimination il y en a pour tout le monde


La psychophobie concerne plus spécifiquement les discriminations et images négatives et méprisantes qui circulent autour des personnes atteintes de troubles psychiques et/ou étant neuroatypiques (qui s’écartent de la norme sociale). On parle parfois de handicap invisible pour parler de cet aspect mental. Cette image forte permet de montrer l'invisibilité de la considération sociale de ces souffrances plus encore que celle du handicap lui-même, qui ne l’est pas toujours. La psychophobie désigne ici bien la peur du psychisme différent. Elle se traduit par l’ensemble des comportements pouvant être violents, méprisants ou discriminants à l'égard des personnes concernées. On parle ici de violences pouvant être d'ordre institutionnelles, physique ou morales, de discriminations et de stigmatisation. C’est aussi dans une dimension plus quotidienne le fait de réduire les personnes concernées à leur spécificité et leur particularité ou de montrer une forme de condescendance envers des personnes qui décident de s’engager dans une thérapie ou un processus de diagnostic. On peut parfois retrouver les termes psy-validisme ou encore sanisme. Ce sont, à l’origine, des termes issus du milieu militant qui, nous l’espérons, sauront faire leur place dans le milieu médical.


Pourquoi ce rejet

Nous viendrons peut-être un jour à écrire plus longuement sur l’histoire de la maladie mentale, qui donne beaucoup de clés de compréhension sur l’état actuel des choses (Et je vous propose d'aller au plus vite lire le super article sur le DSM). Nous pouvons avancer brièvement plusieurs hypothèses pour comprendre ce qui a construit notre société telle qu’elle est aujourd'hui : Excluante et dominante.

Attention ça va tirer à balle hypothétique réels Diabolisation de la différence : La question de la perception de la “folie”, de la divergence, du hors-norme qu'incarne la personne malade, présentant un trouble ou simplement une différence, vient bouleverser la société et l’image lisse tant recherchée. Le handicap peut renvoyer chez certains une image déshumanisée, pour citer la psychanalyste Maudy Piot "Le handicap révèle chez l'autre une angoisse fondamentale liée à la différence, à l’imprévu, au hors-norme. Le handicap bouleverse, agresse, blesse. Il est l’inconcevable que l’on doit ranger dans les oubliettes du mépris, les tiroirs du déni, les poubelles de l’insupportable.” Beaucoup de raisons mystiques ont d'ailleurs été évoquées à travers les siècles pour justifier ce sentiment et cette exclusion.

Prédominance d'une idéologie basée sur la responsabilité et la productivité : Nous évoluons dans un système qui met la responsabilité individuelle au cœur de ses injonctions et qui cherche sans cesse à ce que l’individu corresponde en tout point aux normes sociales établies. On fait référence ici aux racines du concept de propriété qui régit notre société et qui n’échappe pas à la propriété de son corps. La notion de propriété est conceptualisée notamment par l'économiste John Locke (Bac E.S ici t'as vu). D’après ses écrits, qui ont certes et heureusement vieilli, celui qui n'a pas pleine possession de son corps et de son potentiel, est légitime à être pris en propriété par quelqu'un d’autre… Ca donne envie. Dans cette même orientation, l'exclusion du handicap trouve aussi racine dans la conception de la normalisation qui domine dans nos sociétés : le handicap deviendrait alors une déficience (Un manque) à corriger ou supprimer, ou tout du moins, à mettre à l’écart.

Séparation du corps et de l'esprit : La longue séparation entre la sphère psycho-affective “l’esprit” et le corporel, considérée comme tangible, a pu contribuer à rendre dans l’inconscient collectif la santé mentale secondaire dans les considérations sociétales.

Cette idéologie a donné lieu à des phénomènes d’exclusion et de contrôle social : On cache, on isole… Encore aujourd’hui, le génocide des personnes en situation de handicap physique ou mental lors de la 2ème guerre mondiale est toujours passé sous silence. Que reste-t-il de leur mémoire, de leur vécu et de leur mort ? Pas grand chose…


Aujourd’hui

En ces temps de crise sanitaire mondiale, il faut garder à l’esprit que les conditions de vie - ou de survie pour certains - sont d’autant plus précaires pour les personnes en situation de handicap physique ou psychique. L’isolement est, notamment, renforcé par une nécessité de rester plus confiné due à leur vulnérabilité. Ce bouleversement sociétal soulève aussi d'autres questions sur la place que l'on donne aux personnes en situation de handicap. - Le télétravail aujourd’hui valorisé remet en question les injonctions d’hier à “être sur place”, même dans les cas où des aménagements auraient été bénéfiques pour la qualité du travail et la préservation de la santé des personnes. Autre exemples ( car vraiment plaisir d'offrir) : - Pour les personnes malentendantes on sait que la situation des masques rend les échanges plus difficiles, cela contribue à les invisibiliser et à ne pas prendre en compte leurs besoins spécifiques.

- Les personnes neuroatypiques ou ayant des troubles mentaux rencontrent un accès au soin d'autant plus semé d'embûches.

- Sans parler des enfants aux besoins spécifiques qui, lors du premier confinement, se sont retrouvés en vase clos avec leur famille parfois démunie. Les aidants sont aussi les grands oubliés de la crise, les besoins de temps de repos et de relais ne sont pas pris en compte.

Une des premières complications dans ces parcours c’est la stigmatisation.

L'espérance de vie des personnes étant atteintes de troubles psychiques est considérée comme pouvant être réduite de 10 à 20 ans. Cela s’explique par un déficit d’accès au soin, un taux élevé de suicides, mais aussi un risque élevé de comorbidités somatiques ; bref un manque de soin généralisé laissant les personnes démunies. Or, on sait qu'une prise en charge adaptée et précoce améliore ces pronostics et permet de donner une plus grande qualité de vie. La souffrance psychologique, si elle est source de stigmatisations, représente un obstacle dramatique à la prévention et à la construction dans le consentement et la liberté de cheminement de soin adapté et bien traitant.


C’est avant tout aux personnes valides de se remettre en question et de progressivement modifier leur comportements pour que nous puissions construire une société plus inclusive et respectueuse. C'est pourquoi cet article aura des suites - et pourquoi pas des préquels pour discuter ensembles des moyens de changements qui sont à notre portée pour déconstruire ensemble nos fausses croyances.




Nous nous considérons nous même en “déconstruction” dans ce domaine et c’est pourquoi, nous espérons que vous saurez nous faire des retours si nécessaire lorsque nous manquerons à créer un espace respectueux.


(Chiffre clés : Fondation Fondamental...)



 

Sources pour allez plus loin

Article > Lavigne, C. & Philip, C. (2016). Handicap, parole de témoin et parole d’expert : vers une co-construction des discours : Présentation du dossier. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 75(3), 5-10. doi:10.3917/nras.075.0005.

> Rohmer, O. & Louvet, E. (2011). Le stéréotype des personnes handicapées en fonction de la nature de la déficience: Une application des modèles de la bi-dimensionnalité du jugement social. L’Année psychologique, vol. 111(1), 69-85. doi:10.4074/S0003503311001035.

> Fondation Fondamental. Qu’est ce qu’une maladie mentale ? https://www.fondation-fondamental.org/les-maladies-mentales/quest-ce-quune-maladie-mentale

> Blog Neuroatypie.Wordpress. Qu’est ce qu’une neuroatypie ?

>Anne claire Orban Be,Pax (2019). “ Burn-out, handicap et racisme : témoignage”

Analyse


Podcast

> Validisme et Féministe : Quoi de meuf ? nouvelles écoutes

> France Inter : Grand bien vous fasse : La schizophrénie loin des idées reçues

> Un podcast à soi : Féministe et Handicap.

Livre > Charles Gardou : handicap, une encyclopédie des savoirs : de l'obscurantisme à la nouvelle lumière. Eres (2014) > Marina Carlos : Je vais m’arranger : comment le validisme impact la vie des personnes handicapées (2020)

> François et Valentin Morel : Dictionnaire amoureux de l’inutile. PLON

Vidéo

> La tronche en Biais : La psychophobie (Tronche en live 93)

https://www.youtube.com/watch?v=R3_2kbIpx-s&t=1874s > Alistair - H Paradoxæ : Qu'est-ce qu'un handicap ? Neurodiversité, modèle social... (avec Dcaius) https://www.youtube.com/watch?v=ncdV7E2jb00


Instagramme / Twitter à suivre

- Payetapsychophobie - Les dévalideuses - T’as pas l’air autiste - Elisa Rojas sur tweeter ou dans son livre sur

Association

> Association Femmes pour le dire Femme pour agir : site Ecoute violences femmes handicapé https://fdfa.fr/ecoute-violences/ >Association Zinzin zine : boîtes à outils pour personnes handicapé https://www.zinzinzine.net

Pétition Allocation AAH : L'allocation adulte handicapé est indexé sur le revenu du conjoint créer une dépendance financière qui ne facilite pas la séparation

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