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Photo du rédacteurMaëlle Rouquet

La Culture cette influenceuse

Cet article peut être considéré comme l’approfondissement de l’article introduisant la notion de culture paru plus tôt sur le blog, si vous l’avez déjà lu contente de vous voir de retour, si ce n’est pas le cas je vous conseille de le lire en premier [ici]. Mais si des téméraires se sentent de taille de s’en passer (ressentez-vous la tension et le drama que je tente d’instaurer sans raison apparente ?) alors c’est parti !


Mon objectif en rédigeant les prochaines lignes est de vous sensibiliser aux effets psychiques de la culture et quoi de mieux pour commencer à penser les liens entre culture et psychisme que de s’intéresser au commencement de notre existence ? Je fais ici référence aux pratiques de maternage, il s’agit de pratiques visant à accueillir le nourrisson puis l’enfant au sein du groupe familial, de l’inscrire dans une filiation, de le protéger et de l’accompagner dans les étapes de sa construction. Ces conduites varient selon les cultures et se transmettent de façon propre à chaque société.


Dans la culture française, le courant majoritaire soutenu par les professionnels de la pédiatrie encourage les figures parentales à privilégier la séparation avec l’enfant la nuit, passé un certain âge celui-ci est poussé à dormir dans sa chambre et non plus dans le lit parental. Cette pratique influence directement la construction psychique de l’enfant qui va expérimenter la séparation lors de la nuit (moment où il se confronte à la solitude et au vide). A contrario, d’autres modèles culturels (au Cameroun par exemple) prônent non pas la préservation du lit parental mais du lit familial, l’enfant partage le lit avec ses figures parentales ainsi que ses éventuels frères et sœurs. Toute la famille est ainsi réunie durant le temps du sommeil qui constitue un moment où chacun est vulnérable.


Ils existent autant de pratiques de maternage que de cultures car elles répondent à des représentations et des besoins différents de l’enfant et de la famille. Ces écarts culturels vont contribuer à construire notre manière d’appréhender le monde qui nous entoure et les personnes qui l’habitent.




Prenons maintenant l’exemple de l’intelligence, concept aux nombreuses définitions, désignant les capacités intellectuelles d’un individu, il suppose une certaine neutralité mais est-ce vraiment le cas ?

On se réfère souvent au QI (Quotient Intellectuel) comme unité de mesure de l’intelligence, toutefois cette notion de QI a été construite par des scientifiques évoluant dans des environnements culturels précis. On attribue la paternité de cette unité de mesure au psychologue Alfred Binet et au psychiatre Théodore Simon, deux français dont l’objectif initial était d’élaborer un outil permettant de détecter d’éventuelles déficiences intellectuelles chez les enfants. Bien que le QI et les conceptions de l’intelligence aient évolué depuis, ils ont été principalement réfléchis dans des cultures occidentales et sont donc représentatifs des courants de pensées majoritaires dans ces sociétés. Dans la culture française ce sont les compétences personnelles qui sont valorisées (ex : indépendance, réussite professionnelle), l’évaluation de l’intelligence se centre donc sur la mesure de performances individuelles. Tandis que dans des cultures où la communauté prime sur l’individu, où c’est la réussite du groupe qui est valorisée, le succès d’une personne sera jugé en fonction du succès de son groupe. La mesure de l’intelligence s’appuiera donc davantage sur les compétences profitant au groupe (ex : capacité à répondre aux attentes de l’environnement physique et social, capacité à résoudre des conflits, capacité à transmettre ses connaissances).



Évaluer l’intelligence d’une personne en fonction de notre propre référentiel culturel et non du sien nous amènera à estimer que cette personne possède des capacités intellectuelles limitées et cela va influencer notre manière de la percevoir et notre comportement à son contact. De la même manière, nous appliquons notre conception de l’intelligence à nous-même ce qui signifie que notre estime personnelle et l’image que l’on va construire de nous-même sera influencée. Le regard que l’on porte sur le monde, sur les personnes qui nous entourent et sur nous-même est TOUJOURS culturel !




Je vous propose une dernière illustration de l’effet psychique de la culture : « Vous » ou « Tu » ? C’est une interrogation que l’on a déjà tous connu et les indices donnés par le contexte (rapport hiérarchique, âge de l’interlocuteur, lieu) dans lequel intervient la conversation nous aident souvent à opter pour le vouvoiement ou le tutoiement. Le choix n’est pas toujours évident mais il est surtout loin d’être anodin puisqu’il instaure le cadre implicite de la dynamique relationnelle. Bien que rien ne soit dit clairement, les individus partageant la même culture connaissent et maîtrisent ces codes, les mots employés vont participer à instaurer plus ou moins de distance, de proximité voire de complicité entre les interlocuteurs. Les mots servent pour penser notre rapport aux autres donc il est intéressant de s’interroger sur le type de rapports que nous aurions si nous possédions un seul terme réunissant le « vous » et le « tu » à l’instar du « you » anglais ?


D’ailleurs les mots soutiennent nos pensées quelles qu’elles soient, on élabore notre réflexion à partir d’eux et c’est pourquoi nous avons tant de mal à construire une phrase lorsque le mot principal nous manque, expliquer notre idée devient complexe. Mais le vocabulaire à notre disposition délimite également notre pensée car comment évoquer une chose dont l’appellation n’existe pas encore ? Prenons l’exemple récent du terme « empowerment » issu du lexique anglais, il désigne le fait de s’émanciper en prenant le contrôle d’événements nous concernant et de se donner le pouvoir d’agir. Ce terme n’avait pas de véritable équivalent français jusqu’à très récemment, il a été traduit par « empouvoirement ». Le fait est que les mots guident la pensée et leur absence également (#GeorgeOrwellceprécurseur), le vocabulaire à notre disposition étant construit dans et pour un environnement culturel spécifique alors nos réflexions, même les plus intimes, sont inexorablement marquées par la culture.


TOUTEFOIS les cultures ne doivent pas pour autant occulter l’individu dans sa singularité, chaque personne a son libre-arbitre. La culture est parfois difficile à identifier tant elle s’immisce dans tous les aspects de nos vies mais nous n’y sommes pas aveuglément soumis.


Il est fréquent d’identifier chez soi un comportement culturellement marqué et de faire le choix conscient de s’en défaire car il ne correspond pas à ce à quoi on aspire. L’être humain a la capacité de s’approprier certains éléments culturels et d’en rejeter d’autres, il n’est pas spectateur mais bien acteur de son existence.



La culture construit l’individu autant que l’individu construit la culture !


Pour conclure cet article, je vous invite à garder à l’esprit que les sciences elles-mêmes sont culturellement orientées car réfléchies au sein d’environnements spécifiques. Ces disciplines scientifiques sont pensées dans des contextes géographique, historique, sociaux et économique précis, elles ne sont donc en aucun cas exemptées d’influence culturelle.


Cet article et ce blog sont empreints d’influences culturelles multiples à l’image des membres qui y contribuent et de l’époque dans laquelle nous sommes, c’est d’ailleurs grâce à ça que nos chemins se croisent aujourd’hui sur ce blog.




 

Sources


> Mead, M. (1963). Moeurs et sexualité en Océanie. Paris: Plon.


> Orwell, G. (1949). 1984. Gallimard.


Pour aller plus loin


> Berthelier, R. (2005). Langage(s) Culture(s) Personne(s). VST - Vie sociale et traitements, 3(3), 42-51.


> Cassin, B. (2014). Traduire les intraduisibles, un état des lieux. Cliniques méditerranéennes, 2(2), 25-36.

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