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Photo du rédacteurPauline Diaz

Nous sommes tous fous ici



Depuis quelques années, on entend de plus en plus de personnes utiliser des termes propres à la psychiatrie et au domaine de la psychopathologie, n’importe où, n’importe quand. En effet, il suffit d’un rien pour que n’importe qui commence à poser des pseudo-diagnostics sur tout ce qui leur semble étrange ou dangereux, du style « il est complètement schizo celui-là ! » ou encore « c’est un vrai pervers narcissique ! ». A croire que nous sommes tous fous ici.


Mais au final, comment ça se fait que tout le monde se soit mis à utiliser (souvent à tort) des termes psychiatriques aussi précis que celui de la schizophrénie ?


Et bien, c’est en grande partie à cause du DSM, cette grande bible de la psychiatrie et de la psychologie !




Déjà, c’est quoi le DSM ?




Le DSM, ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders en anglais (qui n'a rien à voir avec le BDSM, so calm down), est un livre très utilisé par les professionnels de la santé mentale un peu partout dans le monde, comme guide pour le diagnostic des maladies mentales. Cet ouvrage contient des descriptions, des listes de symptômes et autres critères pour diagnostiquer ces troubles.



Sa force : Fournir un langage commun aux professionnels de la psychiatrie et de la psychologie pour mieux accompagner leurs patients, mieux communiquer avec eux et surtout pour poser des diagnostics fiables et cohérents. En proposant une classification de ce type de maladie, le DSM permet également de faire avancer la recherche, et donc la prise en charge sur ce type de maladie (oui, il y a encore beaucoup de choses à découvrir sur le vaste spectre des psychopathologies).




D’où vient-il ?


L’idée de créer un outil de classification a germé en 1840 aux Etats-Unis, par un besoin de classifier les maladies mentales. Bon, à l’époque, on en est vraiment aux débuts de la Psychologie comme science à part entière, et les termes utilisés étaient plutôt crus puisqu’on parlait des troubles mentaux comme de « l’idiotie » et de la « folie » (enfin je dis à l’époque mais bon…). Le pire dans tout ça, c'est qu'au final, cette classification des maladies mentales n'était pas vraiment faite pour être utilisée en psychiatrie mais plutôt... pour les compagnies d'assurance !


Ah bah oui, les compagnies d'assurance vont pas prendre le risque d'assurer un fou ou un débile (qui vient du terme "débilité" vraiment utilisé par la psychiatrie à un moment de son histoire pour qualifier les personnes déficientes intellectuelles), qui pourraient finir par coûter très cher en frais médicaux, voire en cas d'incarcération. Et ouais, il est pas hyper tendre le 19ème siècle avec les psychopathologies.



Quelques années plus tard, la pensée scientifique s’affine un peu plus et il est alors posé 7 catégories pour classer la "folie" : la manie, la mélancolie, la monomanie, la parésie, la démence, la dipsomanie et l’épilepsie. Comme ça, ça fait un peu peur mais ne vous prenez pas trop la tête sur ça ; ces termes ont aujourd’hui été remplacés par d’autres beaucoup plus précis afin de coller au mieux aux avancées scientifiques en psychopathologie.


En tout cas, le besoin de rendre uniforme les données se fait toujours ressentir pour la prise en charge en hôpital psychiatrique, et en 1917, l’American Medico-Psychological Association (connu aujourd’hui sous le nom de l’American Psychiatric Association) publie un manuel statistique à l’usage des institutions psychiatriques. Et cette fois, ce n’est pas 7 mais 22 catégories utilisées pour classer les pathologies !



Et là, le divin DSM est né !






La première édition, tournant majeur pour la psychiatrie :



Après quelques aménagements, c’est en 1952 que la première version, le DSM-I, est publiée. Cette fois ce n’est pas 7, ce n’est pas 22, mais 106 troubles qui y sont décrits (alors déjà, ça fait un grand saut en à peine 40 ans, et le vocabulaire évolue puisqu’on ne parle plus de catégorie mais cette fois de trouble spécifique en tant que "réactions").

En effet, le terme de "réactions" permet de proposer une vision psychobiologique des troubles mentaux qui, pour le psychiatre A. Meyer, représentent des "réactions" de la personnalité à des facteurs psychologiques, sociaux et biologiques.



Autre point assez exceptionnel pour le préciser, c’est que les troubles ont commencé à être divisés en deux groupes se basant sur leurs origines. Et oui, tous les troubles mentaux ne sont pas à ranger dans le même sac (malgré ce qu’on entend parfois dire à la télé). Les scientifiques commencent enfin à différencier les troubles dus à une altération au niveau du cerveau (là on retrouve tout ce qui est de l’ordre des troubles cérébraux ou de la déficience intellectuelle), de ce ayant une origine psychique, ou sans cause physique (comme par exemple les troubles psychotiques type schizophrénie, les troubles anxieux, de la personnalité, etc..).




Et la suite alors ?


Depuis cette première édition, plusieurs se sont enchaînées ; ce qui fait qu'aujourd'hui, nous en sommes à la cinquième version de cette bible aux paroles sacro-saintes.


La deuxième édition sort en 1968, et, même si elle n’est que légèrement différente de la première, elle augmente cette fois le nombre de troubles à 182 (mais jusqu’où ira-t-on ?!), et surtout, elle retire le terme de « réactions » car cela renvoyait trop à la psychanalyse (idée de causalité, tout ça tout ça). On va de nouveau parler de catégories diagnostiques. Lorsque le DSM-III est publié en 1980, on augmente encore le nombre de troubles. Allez-y, cette fois je vous laisse deviner combien !



….



Alors ?






Bon, félicitations aux lecteurs ayant répondu 265 catégories, c’est le Juste Prix ! Et vous repartez avec un voyage aux Iles Baléares pour deux !

Bien évidemment, c’est un voyage qui vous fera travailler votre imaginaire car, quoi de mieux que de tout contrôler dans votre tête plutôt que de vraiment vous retrouver aux Baléares à vous chopper des coups de soleils et avoir du sable qui colle aux fesses ?





Heu… Je crois mettre un peu égarée, reprenons !



Ce qu'il faut surtout savoir avec cette troisième édition, c'est que là, tout à changé ! (effet dramatique avec piano s'il vous plait). En effet, la psychiatrie, ça a plu trop trop la côte. Petit à petit, la population était de moins en moins favorable pour ce domaine car ça ressemblait un peu trop à de l'astrologie pour eux, c'est perçu comme peu clair et sans véritable fiabilité.

Pour essayer de remédier à cette mauvaise image, l'APA a fini par réviser 7 ans plus tard le DSM-III en se basant sur les travaux d'un grand psychiatre allemand, Kraepelin, qui expliquait que c'était la biologie et la génétique qui jouaient un rôle clé dans les troubles mentaux. Il a même fait la distinction entre schizophrénie et bipolarité ! Et ça si c'est pas beau franchement ! A partir de ce moment-là, c'est pas juste le DSM mais toute la psychiatrie qui change d'orientation théorique par rapport à sa façon d'étudier ces troubles.





Tel un superbe Pokémon, le DSM évolue !







La quatrième et la cinquième version du DSM se posent d'ailleurs totalement sur la manière dont le DSM-III a présenté les différents troubles, et c'est donc de cette façon que les professionnels de la santé mentale travaillent encore aujourd'hui (grosso modo). En effet, désormais ce manuel s'organise en grands axes ; cinq pour la troisième version :

  • Axe I : Troubles cliniques (tels que les troubles anxieux, les troubles de l'humeur et la schizophrénie);

  • Axe II : Troubles de la personnalité;

  • Axe III : Troubles en lien avec des Conditions médicales générales.

  • Axe IV : Facteurs psychosociaux et environnementaux

  • Axe V : Evaluation globale de fonctionnement

Il pose également des informations générales pour chacun des troubles présentés, y compris les caractéristiques culturelles et de genre, les modèles et la prévalence de ces troubles dans la population.



Comme je le disais, le DSM-IV, sorti en 1997, ne présente pas de gros changements, mise à part (encore et toujours, vous vous y attendez) toujours plus de troubles, qui monte à plus de 300 ! Cha-ching ! (ça c'est l'onomatopée utilisée pour dire qu'on a touché le gros lot... ok à l'écrit c'est chelou).


Aujourd'hui, ça fait bientôt 8 ans (mai 2013) que la cinquième et dernière version du DSM a été publiée. Et par contre là, les différences avec les anciennes éditions se posent notamment sur une nouvelle vision plus actuelle de divers troubles tels que le Syndrome Asperger en tant que TSA (troubles du spectre autistique), la schizophrénie ou encore la dysphorie de genre.




Mais au final, qu'est-ce que ça a changé sur la vision des psychopathologies ?


Alors au niveau scientifique, pour la psychiatrie et la psychologie, le DSM fut une invention majeure qui a permis d'ouvrir la recherche sur les psychopathologies et de continuer à s'actualiser de jour en jour. Aujourd'hui par exemple, on travaille de plus en plus sur la schizophrénie sur un versant purement neurologique, ce qui fait considérablement évoluer la vision des professionnels sur ce trouble, mais également qui permet de proposer une meilleure prise en charge pour les personnes qui en sont atteintes.



Mais comme il y a toujours deux faces pour une même pièce, le DSM n’a pas que des bons côtés, car il a notamment causé le développement de la psychophobie dans la société.



La psychophobie, c’est la discrimination des personnes atteintes de pathologies mentales ou de troubles du développement. Dit comme ça, on pourrait penser « ça n’existe pas la psychophobie, ça ne veut rien dire ce mot » (déjà que le correcteur automatique me le souligne en rouge), mais en fait, si !



Avec le DSM, la société a elle aussi découvert ce qu’étaient les maladies mentales, surtout avec les descriptions qui en sont faites à l’intérieur. Le problème c’est que ce manuel est un outil scientifique, utilisé quotidiennement par des professionnels ayant une formation Bac+ 5 (psychologue) et Bac+ 8 (psychiatre), et donc, pas à la portée de monsieur et madame tout le monde sans formation spécifique à ce sujet (perso, je suis incapable de comprendre ce qu’il y a vraiment écrit dans le Dictionnaire Vidal, je laisse ça à mon pharmacien et à mon médecin).






Mais alors, pourquoi monsieur et madame tout le monde continuent éperdument à traiter les gens de psychopathes, pervers narcissiques ou névrosés, alors qu'ils ne leur viendraient jamais à l'idée d’utiliser des termes aussi précis d’un autre domaine comme la médecine par exemple ?





C'est parce que la psychologie et la psychiatrie portent encore aujourd’hui des marques de leurs mauvaises réputations des années 70. A l'époque, tout le monde s’est alors cru capable de comprendre les maladies mentales, et de là, sont nés grand nombre de préjugés, encore très banalisés par les médias et la pop culture aujourd’hui.


Petite parenthèse : dans l’imaginaire collectif, dès que l’on entend le mot « schizophrène » par exemple, on pose tout de suite des représentations, souvent très fausses, de tueurs en série, psychopathes, etc… Et de grands films hollywoodiens, comme par exemple "Shutter Island" ou "Fight Club" ont malheureusement favorisé ces préjugés. Sauf qu’en fait, c'est assez loin de la réalité. Que je vous explique ! On pose souvent sous le terme de « schizophrénie » l’idée que les personnes qui en sont atteintes ont une double personnalité par exemple. On peut expliquer simplement cette vision des choses avec la présentation de ce trouble dans le DSM. Dans ce manuel, ce diagnostic peut être posé si deux ou plus des symptômes suivants sont présents :

  • Idées délirantes

  • Hallucinations

  • Discours désorganisé

  • Comportement désorganisé

  • Symptômes négatifs (réduction de l’expression émotionnelle, perte de volonté)


Présenté comme ça, oui ça peut faire peur, mais il est important d’avoir en tête que la définition que donnent les professionnels de la santé mentale sur des termes comme « hallucinations » ou « idées délirantes » n’a absolument rien à voir avec celle que le cinéma et les médias nous présentent (et en plus, la double personnalité, c'est plutôt pour les personnes atteintes de Troubles Dissociatifs de l'Identité, ou TDI, comme dans le film "Split").




Je referme cette petite parenthèse pour vous montrer que c’est pour ça qu’il est important de ne pas lire le DSM comme on lirait son horoscope du matin en prenant son café. Alors, ici je prenais l’exemple de la schizophrénie car c’est malheureusement la maladie mentale la plus stigmatisée, mais j’aurai très bien pu parler du trouble du spectre de l'autisme, ou TSA, qui souffre tout autant d’une image totalement biaisée.






D'ailleurs petit flash info sur la schizophrénie : aujourd'hui la recherche s'attache à parler des schizophrénies au pluriel, car, avec le DSM notamment, les professionnels se sont rendus compte que toutes les personnes atteintes de ce trouble n'ont pas les mêmes symptômes, ni les mêmes degrés de gravité de ceux-ci.







Pourtant, les représentations faussées des maladies mentales sont malheureusement des choses encore bien présentes aujourd'hui... Mais alors, qu'est-ce qu'on peut y faire ? Et bien tout simplement s'intéresser, s'ouvrir aux autres et essayer de comprendre ce que sont vraiment les pathologies mentales et les troubles du développement.

Et toi même tu sais, on est là pour ça !




Alors à toi de jouer, jeune dresseur des pathologies mentales ! Pars farfouiller l'incroyable monde du Collectif Influscience, traquant avec espoir, les pathologies et leurs mystères, le secret de leurs savoirs !






 

Références

American Psychiatric Association. (2013). DSM-5 : diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5e édition

Piot, M. (2015). Qu’est-ce que le DSM : Genèse et transformation de la bible américaine de la psychiatrie.



Vous désirez aller plus loin sur ce sujet ?

Di Vittorio, P., Minard, M. & Gonon, F. (2013). Les virages du DSM : enjeux scientifiques, économiques et politiques.










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