Pour les férus de psychologie sociale vous aurez sûrement reconnu le titre d’un ouvrage assez connu comme étant la bible de la psychologie sociale. Pour les autres honnêtes gens, ce titre est un hommage à l'œuvre de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens”.
Dans ce livre, les auteurs nous parlent des études et expériences réalisées en psychologie sociale pour comprendre comment marche l’influence dans les situations sociales et à quel point des petits actes “innocents” peuvent amener des personnes à réaliser une action contraires à leurs intérêts voire idéaux.
Attention, cet article contient des spoilers de la série Squid Game. Ne lisez pas cet article si vous souhaitez la regarder, ou alors lisez le mais vous serez prévenu, et ça serait dommage quand même…
Je m’y engage, si la psychologie sociale vous intéresse un peu, alors vous allez adorer Squid Game ! (Enfin sauf si vous aimez pas la violence et le sang évidemment…). Et si jamais vous aimez la psycho, la violence et le sang et que vous n'avez pas aimé, laissez moi vous donner un autre point de vue sur la série qui vous fera peut-être (ou pas) changer d'avis.
Pourquoi ? Parce que cette série est un nid, que dis-je un essaim, que dis-je, c’est une péninsule d’illustrations des théories phares de la psychologie sociale.
Et pour vous convaincre je vais vous dérouler dans les deux prochains articles l’une des principales théories que j’ai aperçue dans mon visionnage de Squid Game, dès le début de la série, à savoir : La Théorie de l’Engagement.
Tiens, exactement le sujet du bouquin non ? C’est fort dis-donc !
Dans le livre, les techniques étudiées sont illustrées au travers d’un personnage inventé par les auteurs, à savoir Madame O. Cependant, au lieu de vous parler d’elle (même si c’est une Queen), je vais plutôt parler du protagoniste de la série et de ses mésaventures.
Pour bien comprendre les parallèles, je vais procéder, un peu comme dans le livre, de façon entrecoupée avec les exemples et les théories dans différents paragraphes.
Squid Game : Paragraphe de mise en contexte de la série.
Petit traité : Les extraits du bouquin qui parlent de la technique employée.
Mon commentaire : Mes explications autour de l’illustration des définitions dans le cadre de la série (et mes blagues of course).
Je ne vais pas vous faire de résumé de la série au niveau des personnages et leurs propres buts parce que ce n'est pas ce qui nous intéresse dans ces articles et qu'il y a déjà beaucoup de choses à dire. Je vais vous parler seulement des trois premiers épisodes (avec un chouya de spoil de la fin quand même) car c’est là que le plus gros de la manipulation se fait.
Pré-requis à la manipulation
Squid Game :
On retrouve donc Seong Gi-Hun, un homme souffrant d’une addiction aux jeux d’argent et endetté qui se retrouve à signer un peu malgré lui “une clause de non-responsabilité”. Sous la menace et les coups de son créancier, il ne prend même pas le temps de lire le contrat et signe plus par contrainte que consentement éclairé. Et vous imaginez bien que ce n'est pas là que se joue la manipulation (même si le fait de signer est important pour la suite), c’est la scène d’après qui fera démarrer la première phase de l’engagement.
Première phase de manipulation :
Concept 1: La technique de “la porte-au-nez”.
Squid Game :
Après des scènes d’exposition plus ou moins touchantes avec sa fille et sa mère, on retrouve notre protagoniste dans le métro. Lorsque, sorti de nulle part, Monsieur beau gosse en costard du métro (Il a pas de nom c’est pas ma faute) propose un jeu de ddakji à Gi-Hun. Dans un premier temps il lui dit que c’est 100.000 wons si il gagne vs 100.000 wons si il perd. Gi-Hun joue une première fois et perd.
Petit traité :
“[La porte-au-nez] revient à formuler une requête trop importante pour qu’elle soit acceptée avant de formuler la requête qui porte sur le comportement attendu, une requête de moindre importance“.
Mon commentaire :
Alors, celles et ceux qui ont vu la série, vous allez sûrement me dire “Mais Camille, il a accepté la première requête en acceptant de jouer pour 100.000 won”. Et bien, oui et non. Au vu de son attitude durant le jeu, on peut se douter qu'il n’a clairement pas l’impression que la requête était sincère et qu'il n’avait aucune intention de payer. Et si la rame de métro était passée à ce moment-là je peux vous parier qu’il aurait tenté de vite monter dedans. En fait, il n’accepte réellement de jouer qu’après avoir perdu et compris que Monsieur BG était sincère.
Si la claque avait été proposée d'entrée de jeu, il n’aurait sûrement pas accepté, mais comme cette proposition vient à la place d’une somme d’argent conséquente qu’il ne peut de toute façon pas payer, c’est un moindre mal et il accepte donc.
Là où, on peut dire qu’on se situe dans une technique de porte-au-nez, c’est que Monsieur BG n’a jamais eu l’intention de demander à Gi-Hun des sous, il le sait il ne pourra pas payer. Ce qu’il veut, c’est qu’il accepte de recevoir une claque, car c’est ce comportement qui sera attendu de lui tout au long du jeu, il le lui dit même explicitement : “Utilisez votre corps pour payer” (Si ça c’est pas un fusil de tchekhov.).
Concept 2 : La technique du "pied-dans-la-porte".
Squid Game :
Après avoir perdu, Monsieur BG propose dans un second temps à Gi-Hun de recevoir une claque en échange, ce qu’il accepte. Quand il finit par gagner, il s’apprête à donner une gifle à Monsieur BG, mais ce dernier lui rappelle la règle "de base" qui est que le gagnant emporte 100.000 wons.
Petit traité :
(Sur le pied-dans-la-porte )
“On extorque au sujet un comportement préparatoire non problématique et peu coûteux, évidemment dans un contexte de libre choix, et par conséquent dans des circonstances facilitant l’engagement.(...) Ce comportement préparatoire obtenu, une requête est explicitement adressé au sujet l’invitant à émettre une nouvelle conduite, cette fois plus coûteuse et qu’il n’avait que peu de chances d’émettre spontanément.”
Mon commentaire :
En acceptant le fait de recevoir une claque lorsqu’il perd, il s’engage à avoir le comportement suivant : Utiliser son corps (et surtout ses organes) dans l’optique de gagner de l’argent. Et c’est là que Gi-Hun se retrouve avec le pied-dans-la-porte. Le comportement qu’il a maintenant l’engage à poursuivre ce type de comportement plus tard.
La première phase de cette manipulation utilise donc deux techniques principales pour assurer l'engagement de Gi-Hun, une directe de porte-au-nez, et une qui permet une amorce pour le véritable jeu, le pied-dans-la-porte.
On peut même dire que c’est une porte-au-nez de pied-dans-la-porte (Non personne dit ça en fait.).
Concept 3 : Sentiment de liberté
Squid Game :
Plus tard, après avoir gagné plusieurs fois, Gi-Hun reste sceptique sur le fait de poursuivre avec d’autres jeux, en insistant sur le fait qu’il est “pas si naïf”.
Monsieur BG formule alors une première question “Voulez-vous jouer ?” et quand il reçoit un “non”, c’est alors qu’il lui rappelle assez simplement qu’il s’était engagé avant et lui évoque ses problèmes financiers et familiaux (sans même hausser le ton) pour l'inciter à mieux réfléchir à la proposition sans l’imposer explicitement.
Petit traité :
“[Pourquoi] un sujet déclaré libre se comporte-t-il exactement comme un sujet contraint ? S’il accepte de réaliser librement des actes contraires à ses attitudes, à ses goûts ou à ses intérêts immédiats, c’est [parce qu’ils] ne sont pas, dans les situations qui nous occupent, les déterminants de l’action. Il faut donc admettre qu’il existe, dans de telles situations des déterminants plus puissants, et ces déterminants sont à rechercher dans la relation de pouvoir qui lie l’expérimentateur et ses sujets. “
Mon commentaire :
La scène qui se déroule ici est assez importante et évocatrice des techniques mises en place par des personnes utilisant des techniques de manipulation. C’est à dire qu’à aucun moment Monsieur BG ne l’oblige verbalement ou physiquement à prendre la décision.
On retrouve alors le point central de la théorie de l’engagement, à savoir, le sentiment de liberté déterminé par une domination implicite (Mais je prendrai le temps de plus développer sur le sentiment de liberté dans l'épisode 2.).
Concept 4 : L'engagement
Squid Game :
Après réflexion, Gi-Hun décide que ça vaut le coup d’essayer et rappelle Monsieur BG.
Petit traité :
“l’engagement serait (...), le lien qui existe entre l’individu et ses actes. (...) Nous ne sommes pas engagés par nos idées ou par nos sentiments, par ce qui est, en quelque sorte, “dans notre tête”, mais par nos conduites effectives, et donc par des agissements que les autres peuvent ou pourraient “voir”.”
Mon commentaire :
(Note pour moi même, proposer à Netflix une traduction du titre de la série : Sarko Game )
Ainsi s'achève le premier épisode de la série et de la première partie de ces articles.
Pour résumer, rien que dans ce premier épisode, beaucoup de techniques sont mises en place de façon pernicieuses pour amener le protagoniste à continuer dans son comportement et lui faire croire qu'on ne lui a pas forcé la main. Mais c'est loin d'être fini !
Dans le prochain article je vous parlerai de la deuxième phase de la manipulation et des autres techniques qui appuient encore plus ce sentiment de liberté et donc l'engagement.
Merci d'avoir lu ce premier épisode ! Si le format et le sujet vous ont plu, n'hésitez pas à partager, commenter, liker, etc.
Source :
Beauvois, J. L., & Joule, R. V. (2002). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, les psychologues sociaux français. Éditions Presses Universitaires de Grenoble, PUG.
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