Aujourd’hui parlons étiquettes, tranchons enfin ce débat insoutenable : les couper car ça gratte et c’est relou ou les conserver pour savoir à quelle température laver le vêtement ?
Je pense qu’il faut les enlever et apprendre à se faire confiance dans le choix du cycle de lave-linge.
Voilà, j’espère que cet article vous a plu, à très bientôt pour résoudre ensemble les grands mystères de ce monde.
…
Bon, plus sérieusement je n’ai pas totalement menti en annonçant que la thématique du jour portait sur les étiquettes mais vous vous doutez que je fais référence à des étiquettes d’un genre bien différent !
Donc avant d’aller plus loin, définissons ce qu’est une étiquette :
D’après le Larousse, une étiquette est une « Marque fixée, fiche placée sur un objet pour en indiquer le contenu, le prix, la destination, etc. », une « Désignation, indication qui classe quelqu'un, un organe de presse, surtout dans l'ordre politique ou idéologique ».
Le dictionnaire propose davantage de définitions mais nous allons nous appuyer sur celles-ci afin de construire une définition qui inclurait un aspect psychologique au terme : une étiquette est un mot ou expression caractérisant un objet ou une personne. Une étiquette désignant une personne peut être attribuée par autrui ou par soi-même. Une étiquette est toujours l’expression d’une perception personnelle mais cette perception peut prendre racine dans des représentations collectives et des stéréotypes.
Les « bobos » qui font leurs courses à la biocoop, les « extravertis » qui sortent tous les weekends, les « intellectuels » qui écrivent des livres, les « écolos » qui achètent des pailles en bambou, etc. Tout ça n’est qu’étiquette et repose souvent sur des observations, des déductions et des interprétations, des éléments ne pouvant pas faire office de preuve mais dont nous nous contentons. Les étiquettes n’ont aucune valeur véridique, elles peuvent s’avérer vraies comme fausses puisqu’elles dépendent totalement de l’œil qui les constate.
Je laisserai volontiers les étiquettes vivre une vie paisible sans déranger leur quiétude pour l’écriture de cet article si elles ne contribuaient pas à un phénomène psychologique plus grand dont personne n’est épargnée : l’identité prescrite !
Il existe dans le champ de la psychologie de multiples conceptualisations de l’identité, chacune étant légitime et pertinente car construite au sein d’un courant spécifique de la discipline. Je précise cela afin que vous ne soyez pas étonné si la notion d’identité est définie différemment dans un autre article du blog. C’est totalement N.O.R.M.A.L.
Bon un peu de concentration jeune fille, arrête le teasing et explique enfin de quoi tu parles !
Je me réfère dans mon orientation et ma pratique professionnelle à l’identité comme entité constituée de multiples éléments, je trouve d’ailleurs plus juste de parler DES identités. Mais pour faciliter la compréhension sachez que lorsque je parle de l’identité je fais référence à la somme et l’articulation de toutes nos identités (identité culturelle, identité sociale, identité prescrite, identité professionnelle, identité sexuelle, identité ethnique, identité de genre, etc.). L’individu se construit en articulant ses différentes identités et sa représentation de son « Idéal du Moi », une image de lui-même porteuse de valeurs et de caractéristiques qu’il juge positive.
Ici, l’identité qui nous intéresse est l’identité prescrite, elle désigne les caractères, rôles et valeurs qui sont attribués par les autres personnes, par l’environnement social. Les éléments qui composent l’identité prescrite rattachent la personne concernée à des groupes, on estime qu’elle appartient au groupe des « politiciens », « artistes », « féministes », etc.
Cette identité assignée à l’individu participe à sa propre construction identitaire puisque les écarts entre les perceptions des autres et les perceptions personnelles sur soi, les écarts entre les appartenances groupales qu’on lui prête et les appartenances qu’il reconnaît, tous ces écarts peuvent entraîner diverses réactions. On parle alors de stratégies identitaires, des processus psychologiques mis en place (inconsciemment) pour gérer ces écarts.
C’est là qu’entre dans l’game Carmel Camilleri, le monsieur a énormément contribué à développer la psychologie interculturelle en France, je me suis permise de lui emprunter deux, trois idées vu qu’il semble s’y connaître un peu.
Camilleri a théorisé les stratégies identitaires et notamment celles mises en place lorsque la valeur de soi est atteinte, c’est la valeur (positive et/ou négative) qu’on s’attribue à nous-même. Cette valeur est mise à mal si notre identité prescrite est composée de caractéristiques péjoratives, une telle identité prescrite affecte l’image et l’estime de soi.
Une personne jugée « mytho », « voleur », « salope » ou encore « stupide » par son environnement social sera confrontée au risque de voir progressivement diminuer la valeur qu’elle s’attribue. A l’extrême, l’individu peut développer une identité négative, ça signifie qu’il va intérioriser le point de vue des autres et s’approprier cette réalité imposée dans laquelle il est dénigré.
Dans ce type de situation où son estime de soi est mise en danger, l’individu peut mettre en place plusieurs stratégies pour la préserver ou la rétablir, en voici quelques exemples :
- Se séparer du groupe dévalorisé et être assimilé au groupe valorisé (EX : s’inscrire dans une filière scientifique afin que ses capacités intellectuelles soient reconnues par ses pairs). Dans cette démarche, l’individu intériorise le jugement négatif sur le groupe mais il s’en exclut afin de ne pas souffrir de ce jugement, on parle d’identité négative déplacée.
- S’affranchir de la prescription identitaire en revendiquant sa singularité (EX : prendre conscience des pleins pouvoirs qu’on a sur son corps et sur sa sexualité et ainsi se libérer des diktats de la société). La personne construit ainsi une identité indépendante du groupe valorisé.
- Utiliser l’identité prescrite comme défense en revendiquant son appartenance au groupe dévalorisé qui fera office de bouclier contre l’atteinte à l’estime de soi (EX : vanter ses capacités à duper les autres et ainsi faire de la caractéristique dénigrée un avantage). L’extrême de cette stratégie identitaire est l’adoption d’une « identité polémique », l’individu sera dans une sur-affirmation parfois agressive de soi en réponse au jugement négatif.
Il existe également d’autres stratégies telles que le retournement sémantique qui désigne la réappropriation par les membres du groupe dévalorisé du terme à valeur négative utilisé pour les désigner
EX: le mot « Queer » utilisé comme insulte homophobe puis revendiqué par les militants de la communauté Lgbtqi+ pour se caractériser eux-mêmes en lui insufflant une connotation positive.
L’étiquette, instrument de dévalorisation devient outil de reconnaissance et de célébration !
Le phénomène d’attribution de valeurs négatives est amplifié lorsque les relations entre les groupes sont conflictuelles. L’autre est uniquement perçu sur la base des caractéristiques assignées à son groupe, sans prendre en compte ses caractéristiques individuelles, les nuances disparaissent.
Bon...
J’ai décrit les inconvénients, voire les dangers, des étiquettes mais elles ont également des effets vachement cool !
L’être humain ne survit pas seul : placez une personne dans une pièce équipée d’électricité, d’eau courante et de nourriture mais sans aucun moyen de communiquer avec l’extérieur ni même d’être en contact visuel avec autrui. Quittez la pièce en refermant la porte à clé derrière vous puis revenez 2 mois plus tard, je vous assure que la personne sera dans un sale état et ce, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte !
[NE RÉALISEZ PAS CETTE EXPÉRIENCE CHEZ VOUS]
Avec cet exemple chelou j'essaye de vous montrer que l’être humain se construit DANS et GRÂCE au groupe, il accumule des connaissances et des compétences et construit ses représentations du monde à travers les interactions qu’il a au sein des multiples groupes qu’il traverse.
Quant aux problématiques identitaires, elles sont particulièrement activées lorsque la personne est prise dans une dynamique de groupe car ce type de situation la confronte à l’incertitude concernant l’image qu’elle renvoie et celle que les autres vont se créer.
Il y a quelque chose de paradoxal dans l’appréhension du regard de l’autre puisque la peur d’un jugement négatif va nous pousser à la conformisation afin d’éviter un conflit avec la norme perçue comme dominante au sein du groupe. Mais dans un même temps cette recherche de conformité, d’anonymat peut être vécue comme une négation de son identité.
L’identité se construit à travers des mouvements permanents entre assimilation et différenciation.
Clairement pourquoi on s’inflige tout ce bordel ?
Une partie de la réponse se trouve dans notre besoin de reconnaissance, ce désir inhérent à tout être humain s’exprime dans nos interactions avec les autres. Il est d’ailleurs encore plus intense lorsque l’on se sent en insécurité, inférieur ou exclu.
Je ne pense pas prendre trop de risque en affirmant que chacun de nous a déjà eu l’impression d’être à côté de la plaque, de ne pas posséder une caractéristique commune aux autres membres du groupe.
La sensation d’être différent est l’une des plus partagées . . .
Mais si on se sent chacun différent des autres, alors c’est qui « les autres » ?
On va garder les questionnements méta pour plus tard sinon on ne verra jamais le bout de cet article et on a pas toute la journée non plus !
Donc le besoin de reconnaissance est présent chez chacun d’entre nous mais voyons de plus près de quoi il s’agit. Il faut savoir qu’il existe plusieurs niveaux de reconnaissance :
- Besoin de visibilité sociale - c’est se sentir exister aux yeux des autres
- Besoin d’appartenance - c’est être inclus dans une communauté, y trouver « sa place »
- Besoin de valorisation - c’est être approuvé par le groupe
- Besoin d’individuation - c’est être reconnu dans sa singularité
Les étiquettes contribuent à tous ces besoins, se voir assigner une étiquette ou choisir de se l’attribuer est une manière d’être rattaché à un groupe et ainsi d’exister aux yeux des autres et d’être approuvé par le biais de cette caractéristique commune à tous les membres de ce groupe.
Le processus d’identification désigne (en psychanalyse) le fait de se transformer en assimilant inconsciemment une caractéristique propre à quelqu’un d’autre. L'identification est aussi le fait de reconnaître l’autre comme « identique » à soi.
Lorsque l’on juge positivement une personne que l’on reconnaît comme semblable alors l’identification devient valorisante pour l’image de soi, on porte un jugement positif sur nous-même.
Les individus ont le désir de communiquer avec les personnes dont ils ont le sentiment d’être proches, avec qui ils partagent des valeurs et des centres d'intérêts. On souhaite être reconnu par ceux que nous considérons comme des pairs ou des figures de référence. Les étiquettes permettent aux gens de se réunir sous un mot qui les rassemble, un mot qui fait sens pour chacun d’entre eux et à travers lequel ils se reconnaissent mutuellement comme groupe, communauté, lieu « safe ».
C’est d’ailleurs dans cette volonté que sont créés certains lieux en non mixité tels que les groupes de paroles pour femmes victimes de violences conjugales, les groupes d’entraides pour personnes souffrant d’addiction, les groupes d’échanges pour personnes racisées, etc.
L’identité est UNE et PLURIELLE, mais surtout c’est une entité dynamique et changeante !
C’est pourquoi je refuse d'avoir une opinion radicale sur les étiquettes !
Elles résonneront différemment chez chacun en fonction des stratégies identitaires de la personne et du contexte dans lequel elles interviennent.
Une étiquette permet de rentrer dans une case, parfois cette case peut ne pas nous convenir car trop étroite, trop grande, l’impression de manquer d’air, d’y être prisonnier. Mais cette case peut également s’avérer confortable et chaleureuse, remplie de personnes bienveillantes alors qu’on avançait jusqu’à présent dans le noir complet avec pour seule compagne une solitude non désirée.
Les étiquettes peuvent s’avérer aussi libératrices que destructrices !
Il est essentiel d’en avoir conscience lorsque l’on pose un jugement sur autrui et qu’on lui attribue une caractéristique (souvent arbitrairement puisqu’on a rarement connaissance de la situation complète). Nous ne pouvons agir sur la manière dont une étiquette est reçue mais le processus d’attribution, lui, dépend de nous. Une étiquette en révèle davantage sur la personne qui l’a attribuée que sur la personne qui la porte.
Sources
> Camilleri, C. (1999). Stratégies identitaires : les voies de la complexification. In M.-A. Hily, & M.-L. Lefebvre (eds.), Identité collective et altérité. Diversité des espaces, spécificité des pratiques. Paris : L’Harmattan.
> Malewska-Peyre, H. (1990). Le processus de dévalorisation de l’identité et les processus identitaires. In C. Camilleri, J. Kastersztein, E.-M. Lipiansky, H. Malewska-Peyre, I. Taboada-Leonetti, & A. Vasquez (eds.), Stratégies identitaires. Paris : PUF.
> Lipiansky, E. (1998). Identité subjective et interaction. In C. Camilleri (éd), Stratégies identitaires. Paris : PUF.
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